Interview du Pr Patrick ROSSIGNOL

 

Interview de la newsletter n°36 du 30 Janvier 2025

Pr Patrick ROSSIGNOL, Médecin coordonnateur du F-CRIN INI-CRCT network, directeur médical du Centre d’Hémodialyse Privé de Monaco et chef de service de spécialités médicales et néphrologie-hémodialyse à l’Hôpital Princesse Grace de Monaco

 

Comment le réseau F-CRIN INI-CRCT fait-il progresser la recherche en néphrologie ?
French Clinical Research Infrastructure Network (F-CRIN) Investigation Network Initiative – Cardiovascular and Renal Clinical Trialists (INI-CRCT)

Depuis 10 ans, le réseau d’excellence INI-CRCT s’attaque aux complications cardiovasculaires de la maladie rénale et aux complications rénales des maladies cardiovasculaires. L’INI-CRCT rassemble des néphrologues, des cardiologues, des réanimateurs, des médecins, des chirurgiens vasculaires, des internistes, des gériatres, des généralistes, des chercheurs fondamentaux, des ingénieurs de l’IA, des patients… qui conçoivent et conduisent des essais cliniques.

INI-CRCT organise annuellement un think tank international – Kidney disease clinical trialists – dont la 9e édition se déroulera début avril 2025 à Washington, et rassemblera 120 participants. L’objectif de la réunion du KDCT est de tirer les enseignements des essais cliniques précédents et de bâtir les prochains en partant du postulat que le partage d’expérience multidisciplinaire (chercheurs, patients, agences réglementaires américaine, européenne, japonaise, organismes payeurs) est déterminant pour la réussite des futurs essais cliniques. Plusieurs sessions seront dédiées à la dialyse puisque les patients sont exclus de la plupart des essais cliniques de cardioprotection, alors même qu’ils sont à très haut risque cardiovasculaire.

En 2024, le réseau INI-CRCT a reçu, dans le cadre de la relabellisation de F-CRIN, une lettre d’intention du groupe Elsan, disposé à collaborer à la réalisation d’essais cliniques. Cette nouvelle labellisation valable cinq ans a été obtenue avec la mention maximale A+. Nous appelons de nos vœux cette collaboration afin d’améliorer la participation et les conditions de vie des patients.

 

Que peut attendre la néphrologie de la recherche ?

Les résultats récents sur l’hémodiafiltration ont été importants. L’hémodiafiltration utilise la diffusion et la convection des fluides pour l’épuration extra-rénale. Une étude européenne publiée en 2023 et la méta analyse publiée en novembre 2024 démontrent que l’hémodiafiltration diminue la mortalité des patients dialysés.

L’étude internationale ALCHEMIST conduite par l’INI-CRCT avec la spironolactone comparée au placebo, dont les résultats ont été présentés en 2023 à l’American Society of Nephrology, n’a pas permis de conclure à un bénéfice. Dans cette étude étaient inclus uniquement des patients hémodialysés à très haut risque cardiovasculaire du fait d’antécédents cardiovasculaires, ce qui constitue une première mondiale. 44 % des patients avaient un abord vasculaire leur permettant d’être traités par hémodiafiltration, démontrant la faisabilité de cette approche, y compris chez des patients à haut risque cardiovasculaire. Cette technique représente un espoir d’amélioration du quotidien et de réduction des risques de complications pour ces patients.

En France, deux études sont actuellement en cours auprès de patients dialysés, dont les résultats ont une portée internationale. La première « Résolve », initiée par des chercheurs australiens, est engagée depuis cinq ans à l’échelon international. Elle est menée par l’Inserm en France depuis juin 2024, avec le soutien financier du réseau INI-CRCT et de ses mécènes, sous l’égide de la Fondation ID+ Lorraine. Resolve s’appuie sur le registre REIN tenu par l’Agence de biomédecine, et sur les bases de données de l’Assurance maladie (SNDS). Les centres participants, tirés au sort, utilisent dès lors un bain à 137 ou 140 millimoles/litre de sodium. 30 000 des 42 000 patients prévus dans ce programme de recherche ont déjà été recrutés dans le monde. Les données françaises, automatiquement colligées, seront transmises aux chercheurs australiens. Les résultats (impact cardiovasculaire d’un bain plus ou moins riche en sodium) seront connus dans 2 à 3 ans.

L’étude « Track » s’intéresse aux patients dialysés, hémodialysés ou hémodialysés péritonéaux, ou encore aux patients souffrant d’insuffisance rénale chronique (IRC) de stade 4 ou 5, mais pas encore dialysés. Elle vise à étudier l’impact cardiovasculaire d’un anticoagulant : le rivaroxaban, à petites doses, comparé au placebo. Le gouvernement français finance la participation de 200 patients français à cette étude (financement par un programme hospitalier national de recherche clinique), promu en France par le CHRU de Nancy, et dans le reste du monde par le George Institute de Sydney. Le rivaroxaban a démontré son efficacité contre le risque de complications cardio-vasculaires chez les populations ayant une insuffisance rénale moins avancée. Serait-il pertinent de prescrire ce médicament aux patients atteints d’une insuffisance rénale de stade 4 ou 5, dialysés ou non, pour éviter les complications cardio-vasculaires ? C’est l’enjeu de TRACK, dont le recrutement des 2 000 patients inclus dans la recherche s’achèvera en juin 2025 pour des résultats attendus en 2027.

 

En matière de prévention, quelles avancées sont à retenir ?

L’enjeu de cette recherche est d’éviter la progression de la maladie rénale chronique, qu’elle soit avérée ou débutante, et les complications cardiovasculaires appelées le syndrome cardiorénal. La révolution vient des gliflozines, utilisées initialement contre le diabète. Les gliflozines sont utilisables chez les patients insuffisants cardiaques mais aussi insuffisants rénaux avec ou sans diabète. Elles retardent de plusieurs années l’évolution de ces maladies et diminuent la mortalité. Une étude médico-économique démontre que, selon le degré d’implémentation du dépistage de la maladie rénale et de l’utilisation des gliflozines, le gain en termes d’événements cardiovasculaires ou rénaux se chiffre en dizaines de milliers sur des périodes allant de cinq à dix ans. De facto, les économies en santé se chiffreraient en milliards d’euros (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37341914/). La France a été l’un des derniers pays au monde à accéder à cette prise en charge thérapeutique pour des raisons de remboursement. Désormais, les patients insuffisants rénaux peuvent y accéder.

La recherche ne s’arrêtant jamais, elle porte désormais sur d’autres classes de médicaments, dont certains ont déjà fait la preuve de leur efficacité. Ainsi, la finérénone, antagoniste des récepteurs des minéralocorticoïdes non stéroïdiens, déjà mentionnée dans les recommandations internationales, prévient des complications rénales du diabète et des complications cardiovasculaires de la maladie rénale. L’accessibilité à cette nouvelle opportunité de prise en charge dépend néanmoins d’un éventuel remboursement par la Sécurité sociale.

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