L’importance de l’éthique dans la prise en charge des patients IRC

Interview publié le 26 Juin 2025

Le jeudi 12 juin, la FHP-REIN a organisé un atelier sur l’importance de l’éthique dans la prise en charge des patients atteints d’insuffisance rénale chronique. Les intervenants ont rappelé la nécessité d’engager une réflexion éthique en amont de la survenue des difficultés. Ils ont souligné l’importance de solliciter les organismes de tutelle ainsi que l’avis de professionnels de santé issus de disciplines variées (psychologue, psychiatre, assistante sociale…), afin de proposer la médiation adaptée. Ils ont aussi insisté sur la nécessité de consigner systématiquement les actes de violence auprès des pouvoirs publics et de l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS).

Que retenir de chacune des interventions

Pr Philippe Brunet, chef du service de néphrologie du pôle uro-néphrologie, centre de néphrologie et de transplantation rénale – Hôpital de la Conception (Marseille)

« L’éthique médicale est une réflexion et un raisonnement visant à éclairer une situation de soins complexe, située à la frontière des repères professionnels habituels, tels que ceux formulés par les sociétés savantes, le Code civil ou encore le Code pénal. Lorsque ces repères sont dépassés, le soignant peut s’appuyer sur des outils organisés autour des quatre principes de la classification de Beauchamp et Childress. L’autonomie : la décision respecte-t-elle la capacité du patient à être acteur de sa propre santé ? La justice : la décision traite-t-elle l’ensemble des patients de manière équitable ? La bienfaisance : la décision contribue-t-elle au bien-être du patient ? La non-malfaisance : la décision nuit-elle ou non au patient ? »

À ces quatre principes peut s’ajouter une classification en trois stades de la non-observance d’une prise en charge médicale. Premier stade, la non-observance simple, où le patient ne fait courir de risque qu’à lui-même. Deuxième stade, le comportement du patient devient perturbateur et remet en cause l’organisation de l’unité. Et enfin, le troisième stade, le patient adopte un comportement violent envers d’autres patients ou le personnel. Dans ce cas, il devient indispensable de porter plainte.

La loi de 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, accorde une large autonomie au patient. Toute personne a droit à une information claire et complète afin que son consentement aux soins soit libre et éclairé. En cas de refus de prise en charge, à condition que les échanges et les tentatives de négociation soient consignés dans le dossier médical, la responsabilité de l’établissement ne peut être engagée. Un patient peut donc refuser tout ou partie de son traitement.

« La gestion des patients difficiles exige de l’équipe médicale une solide expérience ainsi qu’une grande qualité d’écoute, incluant l’attention portée au langage corporel, afin d’apporter une réponse adaptée. »

➔ Présentation APMH – Professeur Brunet

Michel Coulomb, président – France REIN PACAC

« Il faut aller au-delà des quatre principes de Beauchamp et Childress et des fondements classiques de la bioéthique, pour s’orienter vers une réflexion centrée sur la personne souffrante dans sa globalité. Il s’agit de passer d’une éthique médicale à une éthique clinique, dans laquelle le vécu et le ressenti du patient sont pleinement pris en compte. Avant toute décision médicale, il est essentiel de considérer l’histoire personnelle du patient afin de lui proposer un avis véritablement éclairé. L’information et le consentement éclairé du patient sont des éléments fondamentaux.

Bien que les représentants des usagers ne soient pas nécessairement préparés à faire face à la violence de certaines réactions de patients, il est indispensable de collaborer avec les professionnels de santé pour réfléchir ensemble à la meilleure manière de faire évoluer les comportements des personnes prises en charge. Une réflexion collective sur ces problématiques est nécessaire. Les représentants des usagers doivent coopérer avec les sociétés savantes et les fédérations afin de poser les bonnes questions et d’élaborer des réponses adaptées.

Cependant, il ne faut pas oublier que le patient demeure un citoyen, soumis au Code civil. »

Patrick Méchain, chef du service des certifications des établissements de santé – HAS

« En 2023, la notion d’éthique a été intégrée dans le processus de certification des établissements de santé. La certification aborde l’éthique comme un espace de décision collaborative, destiné à dépasser des situations complexes.

Actuellement, 40 % des établissements ne répondent pas aux critères éthiques compris dans la certification. Pourtant, ce domaine présente un fort potentiel d’amélioration, à condition de promouvoir les échanges avec les associations de représentants des usagers impliqués dans les questions éthiques, et de mobiliser des ressources externes.

Le sixième cycle de certification, qui entrera en vigueur en septembre 2025, mettra l’accent sur les priorités de santé publique et visera à faire du patient un véritable partenaire. Il encouragera également les établissements à intégrer les nouvelles technologies dans leur réflexion éthique et dans leurs pratiques. »

➔ Présentation HAS – Patrick Méchain

Philippe Auvray, directeur régional PACA – BBraun Avitum

« Nous sommes tous confrontés à la réflexion éthique en dialyse, qu’il s’agisse de l’éthique en fin de vie, de l’éthique liée à la greffe ou encore de l’éthique dans la démarche thérapeutique. Pour répondre à ces questionnements, nous disposons d’outils : la qualité des soins, évaluée lors de la certification, le référentiel de prise en charge, ainsi que les textes juridiques définissant les droits et devoirs de chacune des parties.

Cependant, sur le terrain, comment engager une véritable réflexion éthique avec les équipes thérapeutiques ? Cette démarche est indispensable, notamment en cas de refus de soins de la part du patient. Sans réflexion préalable, les équipes soignantes se trouvent rapidement débordées dans l’exercice de leur pratique et face à leurs responsabilités. »

➔ Présentation B BRAUN – Philippe Auvray

Soraya Guerrab, directrice qualité et environnement – Fresenius Medical Care France

« Au sein des établissements NephroCare, une démarche structurée a été engagée afin de poser un cadre organisationnel clair autour de l’éthique. Portée conjointement par la direction qualité, médicale et juridique, cette dynamique vise à inscrire l’éthique dans le fonctionnement quotidien des établissements, en cohérence avec les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS).

Cette démarche a abouti à la formalisation d’une politique éthique partagée par l’ensemble des établissements. Inscrite dans le projet d’établissement, elle apporte un cadre commun pour nourrir la réflexion éthique au cœur des pratiques professionnelles en renforçant la qualité, la sécurité des soins et le respect des droits des patients.

Au niveau national, une gouvernance dédiée élabore des recommandations et conçoit des supports qui nourrissent la réflexion éthique et structurent la démarche. Ce cadre commun permet de réunir, au sein de chaque établissement, des professionnels issus de différentes entités autour d’un comité pluriprofessionnel, favorisant ainsi une approche partagée et adaptée aux réalités locales. Chaque établissement veille à instaurer un comité éthique local ou à organiser des groupes de réflexion, garantissant ainsi l’application concrète et le dynamisme de cette démarche au sein de ses équipes.

Enfin, pour faire vivre cette démarche, NephroCare déploie des formations initiales pour tous les collaborateurs, complétées par des sensibilisations sur des thématiques régulières, afin d’inscrire durablement l’éthique dans la culture de chaque collaborateur. »

Dr Christophe Ridel, directeur médical – Fresenius Medical Care France

« Pour accompagner le médecin dans ses missions fondamentales — guérir, soulager, écouter — j’ai accepté de participer à l’organisation d’une journée consacrée à la réflexion en néphrologie, initiée par le comité national d’éthique de NephroCare. Cette dimension, essentielle à la pratique médicale, s’intègre pleinement à nos pratiques professionnelles, qu’elles soient médicales, relationnelles ou organisationnelles. Lors de cette rencontre, nous avons choisi de centrer nos échanges sur les dilemmes thérapeutiques en fin de vie.

Pour structurer cette journée d’éthique nationale, nous nous sommes appuyés sur le référentiel Adaptation raisonnée des thérapeutiques, publié par la SFNDT en juin 2024. Plusieurs présentations avec différents professionnels (psychologue, juriste, médecins…) ont permis de croiser les regards autour des principales thématiques soulevées par ce texte, favorisant ainsi des échanges riches et pluriels.

Cette journée a également été l’occasion de confronter la théorie à la pratique en travaillant collectivement sur des cas cliniques réels. Ces situations, complexes et parfois sensibles, ont nourri une réflexion éthique concrète, ancrée dans la réalité de la relation de soins.

Les travaux menés au sein de NephroCare illustrent combien la réflexion éthique est un effort collectif. Cette « pyramide des contributions », fondée sur la pluridisciplinarité, constitue le socle indispensable d’une démarche éthique cohérente, structurée et partagée. »

➔ Présentation FRESENIUS – Soraya Guerrab & Dr Christophe Ridel

Jeanne Loyher, directrice générale adjointe des centres de dialyse La Réunion / Mayotte / Guyane – Groupe Clinifutur

« Quelle éthique en cas de crise sanitaire majeure ? Le critère 3.1-05 du manuel de certification de la HAS impose aux établissements de santé d’anticiper les situations d’urgence. Le cyclone Chido, qui a violemment frappé Mayotte, a mis à l’épreuve notre capacité à garantir la continuité des soins dans un contexte de crise majeure.

Sur les trois centres de dialyse présents à Mayotte, un seul est resté partiellement opérationnel après le passage du cyclone. Face à ce constat alarmant, et alors que certains patients n’avaient pas été dialysés depuis plus de dix jours, il a fallu organiser en urgence leur prise en charge.

En collaboration avec les forces armées, une évacuation sanitaire d’envergure a été mise en place. Au total, 96 patients ont été rapatriés vers La Réunion pour y recevoir des soins vitaux. Pendant deux jours, des rotations aériennes ont permis de transférer ces patients dans des conditions sécurisées.

Durant leur séjour à La Réunion, la société de dialyse Clinifutur a non seulement assuré leur traitement, mais a également pris en charge l’intégralité de la logistique : hébergement, repas, linge, accompagnement et coordination quotidienne afin de leur offrir des conditions de vie dignes et humaines malgré l’urgence.

Cette réponse rapide et coordonnée n’a été rendue possible que grâce à une anticipation stratégique : le centre Clinifutur de La Réunion disposait, avec l’accord de l’ARS, de postes de dialyse de réserve spécifiquement prévus pour faire face à ce type de situation. Une décision préventive déterminante, qui a permis de sauver des vies. »

➔ Présentation CLINIFUTUR

➔ Présentation CLINIFUTUR – Résilience et engagement dans les territoires ultramarins

Articles similaires
Faire vivre la réflexion éthique

Édito publié le 26 Juin  2025 Faire vivre la réflexion éthique L’éthique était le fil rouge de l’atelier dialyse qui Lire la suite

Actus Santé de la newsletter N° 40 – Juin 2025

Article publié le 26 Juin 2025 Point d’étape sur la réforme du financement de la dialyse L’atelier de la FHP-REIN, Lire la suite

Maladie rénale : Quelles sont les questions éthiques qu’elle soulève ?

Article publié le 17 juin 2025 La maladie rénale est une pathologie complexe qui évolue généralement de manière silencieuse jusqu'à Lire la suite